Ce blog se spécialise dans la présentation de ma série littéraire Ad Vitam Aeternam. Vous pouvez retrouver l'ensemble de mes écrits publié chez Kitsunegari Editions et mes chroniques livresques sur Lectures d'Avril

jeudi 20 février 2014

Episode 1

La créature ondulait sur le sol de l’autre côté du mur. Célia, les yeux rendus aveugles par un foulard noir, arma son arbalète à poulies au jugé. Elle ne pouvait compter que sur son ouïe et les déplacements d’air auxquels elle était hypersensible pour localiser la bête. Heureusement, le basilic faisait siffler sa langue entre ses dents, trahissant sa position à intervalles réguliers. Célia s’était arrangée pour attirer le monstre dans cette maison abandonnée dont elle avait appris auparavant la configuration par cœur. Elle ne devait pas croiser le regard de la créature sous peine de mort immédiate. Il approchait. Encore quelques centimètres et sa tête apparaîtrait dans l’encadrement de la porte juste en face d’elle. Il s’agissait de ne pas rater son coup. La jeune femme n’aurait pas le droit à une seconde chance. Elle posa un genou au sol et cala son coude sur l’autre pour ne pas trembler. Le carreau serait ainsi juste à hauteur de la tête de la bête. Célia calma sa respiration et ralentit les battements de son cœur. Il y eut un nouveau sifflement. Différent, menaçant. Elle était repérée. La jeune femme appuya sur la détente. Le déclic aigu qui se fit entendre lui arracha un cri de colère. L’arme s’était enrayée. Sans doute avait-elle mal placé le carreau. Elle jeta l’arbalète et délogea le couteau caché dans sa botte. Elle n’eut le temps que de positionner son bras en défense avant qu’un soudain déplacement d’air lui indique que la bête attaquait. Quand les crocs s’enfoncèrent dans sa chair, elle sut instantanément où planter la lame et n’hésita pas une seconde. L’étreinte mortelle se relâcha et Célia resta un moment immobile, les sens aux aguets, avant d’ôter le bandeau. La créature reptilienne gisait au sol, le couteau dans la gorge, si l’on pouvait appeler gorge la partie inférieure de la tête d’un serpent. Sans perdre une seconde de plus, Célia enroula le foulard autour de son bras, s’aidant de ses dents pour serrer ce garrot de fortune. Puis, elle détendit ses jambes et s’assit, dos au mur. Elle se sentait étrangement calme et sereine. Un sentiment de devoir accompli la remplissait. Était-ce ce que ressentaient les soldats en tuant l’ennemi, en sauvant leurs camarades alors même que la situation était désespérée et qu’ils savaient pertinemment qu’ils ne s’en sortiraient pas ? Fermant les yeux, Célia se vit courant sous une pluie de balles, son famas[1] à la main. Elle avait toujours voulu être militaire. Drôle de métier pour une femme avaient dit ses parents. Mais, elle s’était retrouvée enrôlée dans une autre guerre. Une de celles dont elle n’aurait jamais osé imaginer l’existence, même abreuvée de jeux vidéo et de séries américaines depuis l’enfance comme elle l’était. Elle pensa alors à lui et regretta pour la première fois en quatre ans d’avoir pris la main qu’il lui tendait ce soir-là. Mais elle était jeune. Elle avait soif d’aventure et ce qu’il lui proposait était si extraordinaire. Elle avait accepté sans hésiter. Et pendant ces quatre années, elle avait passé ses nuits à ses côtés. Elle avait appris à l’apprécier, même s’ils se disputaient constamment comme chien et chat. Elle avait, à chaque mission, tenté de lui prouver, comme s’il était un sergent-instructeur, qu’elle n’était pas une faible fille, qu’elle était G.I. Jane[2]. Quelle idiote ! C’était à cause de sa fierté et de sa tête de mule qu’elle était maintenant ici, affalée contre un mur dans une habitation en ruine, attendant la mort, tandis que le poison du basilic s’infiltrait dans ses veines. Il lui avait pourtant interdit de partir seule. Qu’avait-elle voulu prouver ? Qu’elle pouvait se débrouiller sans lui ? Il n’y avait qu’à voir le résultat. L’apaisement avait fait place à la colère. Maintenant, c’était la détresse qui prédominait. Lui seul pouvait lui sauver la vie. À cet instant, elle avait désespérément besoin de lui.   
    

4 ans plus tôt

 
Célia écarta légèrement le lourd rideau de toile sombre obscurcissant sa chambre. L’alarme de recul d’un véhicule l’avait sortie de son sommeil. Il s’agissait, elle le voyait maintenant par la fenêtre, d’un camion de déménagement qui s’engageait en marche arrière dans l’allée de la maison adjacente. Cette demeure n’était pas restée plus de quelques jours sans habitants. La jeune fille avait été très triste d’apprendre, il y a un peu plus d’un mois, le départ de ses voisins, même si les circonstances et quelques années avaient eu raison de son amitié avec le plus petit des enfants, Théo. Ils étaient venus annoncer, à ses parents et elle, leur déménagement prochain pour cause de mutation du père et, en un rien de temps, ils avaient vidé la maison. Ils étaient partis sans laisser d’adresse, sans même dire au revoir. La jeune fille en avait été blessée et voir chaque jour depuis une petite semaine la demeure inoccupée en ouvrant les rideaux lui pinçait le cœur. Mais ce matin, alors que Célia était toujours en pyjama, la curiosité avait pris la place des regrets. Qui allait s’installer ? Elle espérait que ce ne serait pas des retraités comme la plupart des habitants du lotissement. Cette maison était une des plus grandes de la rue. On pouvait dès lors supposer qu’une famille avec enfants serait plus intéressée. Cependant, pour le moment, il n’y avait pas grand-chose à voir de plus que le cheval noir au galop ornant le flanc de l’énorme semi-remorque. Même depuis la fenêtre de sa chambre au premier étage, Célia ne pouvait plus apercevoir le joli parterre de fleurs devant l’habitation. Elle laissa tomber le rideau, déçue. Il serait temps d’aller jeter un œil plus tard lorsqu’elle serait habillée et aurait contenté son estomac criant famine.
 
— Bonjour, P’pa ! Bonjour, M’man ! salua-t-elle ses parents en dévalant les escaliers.
Karine et Matthieu Tallende saluèrent en retour leur fille unique de quinze ans.
— Tu te lèves bien tôt, ce matin ! Tu te prépares pour la rentrée ? demanda Matthieu.
Célia grimaça à l’évocation de la rentrée scolaire qui aurait lieu dans trois jours. Autant elle était excitée à l’idée d’entrer au lycée, autant elle était effrayée de ne retrouver aucun de ses camarades de collège. Ayant choisi l’option musique, elle avait été obligée de s’inscrire dans un lycée différent de celui normalement fréquenté par les élèves de son quartier parce qu’on n’y enseignait pas cette matière.
— Non, c’est le camion qui m’a réveillée ! expliqua-t-elle.
Ses parents étaient attablés devant un copieux petit déjeuner. Tartines grillées, beurrées et bol de chicorée pour Matthieu. Petits pains sans gluten et café au lait pour Karine. Comme tous les samedis matin, le paquet de céréales au chocolat était posé près du bol orné de chats noir et blanc de Célia dans l’attente de son lever. La plupart du temps, la jeune fille, adepte de la grasse matinée, se levait trop tard pour prendre le petit déjeuner avec ses parents bien qu’ils ne commençassent pas le travail de très bonne heure. Tous deux commerçants —Karine dans sa librairie du vieux bourg, Matthieu dans sa boutique d’antiquités sur l’avenue principale—, ils ne partaient qu’à neuf heures du matin, mais c’était encore trop tôt pour leur fille.
— Ah oui, le camion de déménagement ! Ils n’auront pas tardé à trouver acquéreur pour leur maison en tout cas. Tant mieux pour les voisins, commenta Karine en beurrant un petit pain.
Elle appelait toujours les anciens habitants « les voisins » alors qu’il y avait un mois qu’ils ne l’étaient plus. Ce qui fit sourire Célia. L’adolescente espérait sans trop y compter que les nouveaux venus incluraient quelqu’un de son âge, de préférence un garçon, si possible mignon. Ou plutôt non, un garçon plus âgé qu’elle. Elle avait bien vu à quel point les filles étaient matures plus vite que les garçons. Il n’y avait qu’à regarder son meilleur ami pour en être persuadé. Jérémy était surnommé Choco, non pas parce qu’il se gavait de gâteaux au chocolat, mais parce qu’il était aussi blond que les poussins de Final Fantasy[3], les Chocobos. Ils s’étaient rencontrés plus de cinq ans auparavant. Reconnaissant instantanément la musique qui s’échappait des haut-parleurs de la console portable rose, le garçon s’était approché alors que Célia jouait à la Nintendo DS, assise sur les marches du perron.
— Hé, c’est à « FFTA2[4] » que tu joues ? Moi, je l’ai déjà terminé.
Célia n’avait pas levé les yeux, trouvant d’emblée le petit garçon prétentieux et malpoli d’oser ainsi la déranger en pleine partie. D’autant plus quand il avait fini par s’installer à côté d’elle et s’était imaginé pouvoir lui donner des conseils tactiques. Elle l’avait d’abord rabroué, mais il ne s’était pas démonté. Elle lui avait finalement souri en s’apercevant que ses préconisations portaient leurs fruits. Ça avait été le début d’une solide amitié même si elle s’était en fin de compte renforcée sur des selles de vélo à travers la ville plutôt que devant un écran de console. Néanmoins, le surnom trouvé à ce propos était resté.
Leur petit déjeuner terminé, les parents de Célia déposèrent chacun leur tour un baiser sur la joue de leur fille alors qu’elle finissait ses céréales.
— À tout à l’heure, chérie ! lui glissa sa mère qui rentrerait pour le repas de midi.
La jeune fille, la bouche pleine, se contenta d’un grognement en réponse.
 
*
**
 
— Viens, on va jeter un œil par la fenêtre, le somma Célia.
— Si on se fait choper, on…
— On fera comme si de rien n’était et on se présentera comme les voisins, Choco. T’inquiète !
En ce début d’après-midi, Célia avait été fort étonnée de constater que le camion était parti. Pourtant, vu la taille de la semi-remorque et celle de la maison, il devait falloir un certain nombre de meubles pour les remplir l’une comme l’autre et il était vraiment surprenant que tout soit déjà terminé. Célia avait insisté, dès que Jérémy l’avait rejointe après le déjeuner, pour qu’ils aillent jeter un œil au déménagement en cours quand le garçon lui avait annoncé :
— Quel déménagement ? Y a personne chez les voisins !
— Quoi ? s’était étonnée Célia. Mais…
Ne finissant pas sa phrase, elle avait enfilé ses tennis et était sortie voir, son meilleur ami sur les talons.
 
Célia s’approchait maintenant de la fenêtre jouxtant la porte d’entrée. Posant ses mains de part et d’autre de son visage pour éliminer les reflets du lourd soleil d’été, elle regarda à l’intérieur. La jeune fille se souvenait que cette pièce avait été utilisée comme salon par les précédents habitants, mais aujourd’hui, celle-ci était entièrement vide.
— C’est bizarre, il n’y a pas de meubles.
— Ils ont peut-être tout laissé dans l’entrée, tenta Jérémy.
— Oui, peut-être, admit Célia, dubitative. Viens ! Par la porte-fenêtre de la terrasse, on verra mieux.
— Tu déconnes, Cé’ ! On va pas aller dans le jardin.
Pour toute réponse, Célia se dirigea vers la porte d’entrée et frappa deux coups secs. Puis elle tendit l’oreille à l’affût du moindre mouvement à l’intérieur.
— Tu vois ? Il n’y a personne. Viens !
Tirant son ami par la manche, elle descendit les marches du perron et, passant sous la tonnelle sans se soucier le moins du monde d’être aperçue, ouvrit le petit portillon de bois séparant l’avant de la maison du jardin. Même si Choco devait souvent se faire prier et faisait d’abord son peureux, il finissait toujours par suivre Célia dans les aventures dans lesquelles la curiosité légendaire de la jeune fille les emmenait. Le courage et la rébellion contre les règles de Célia avaient depuis le début fait l’admiration du garçon qui parfois se demandait si elle était vraiment une fille. En tout cas, quand ses camarades de classe le charriaient de traîner avec elle, il balayait la remarque d’un revers de main, n’en ressentant aucune honte. Il s’amusait beaucoup plus avec Célia qu’avec tous ses copains.
La jeune fille regarda par la fenêtre et découvrit cette fois, en travers de la pièce, un immense canapé en cuir devant lequel était posé un tout aussi immense emballage, sur lequel était imprimée l’image noir et blanc d’un écran plat. Par la double ouverture séparant ce futur salon de la pièce adjacente, on pouvait en effet distinguer quelques cartons, disposés les uns sur les autres. Il y avait également une penderie portative typique de celles qu’utilisent les déménageurs dont le rideau protecteur mal fermé laissait entrevoir une armada de chemises et de vestes masculines.
— Je crois que c’est un monsieur célibataire qui a emménagé. C’est bizarre qu’un homme seul achète une si grande maison, tu ne trouves pas ?
— Il compte peut-être se dégotter une poule et faire bientôt une armée de poussins, plaisanta Choco. 
Célia leva les yeux au ciel et ne releva pas. Le garçon s’était assis et faisait mine de s’ennuyer à mourir.
— Bon, OK ! Qu’est-ce que tu veux faire ?
 
Il l’observait depuis la fenêtre. Elle était ravissante. Une petite poupée de porcelaine au teint rosée et aux longs cheveux blond vénitien ondulés. Mais une poupée qui ne semblait manquer ni de courage, ni de jugeote. Tant mieux, la chasse n’en serait que plus attrayante. Il avait hâte de la cueillir comme la jolie fleur en pleine éclosion qu’elle était. Mais patience ! Il avait une nouvelle ville à explorer d’abord, et, dès le coucher du soleil, il sortirait d’amuser un peu. 
 
*
**
Célia se retourna pour la centième fois dans son lit de draps roses. Demain était le jour de la rentrée des classes et l’anxiété l’empêchait de trouver le sommeil. Elle avait vérifié à dix reprises si son réveil était bien programmé même si la journée ne commençait qu’à dix heures et que l’alarme ne serait sans doute pas nécessaire. Arriver en retard le premier jour serait honteux. Elle n’avait pas besoin de se faire remarquer dès la rentrée. Le trajet avait été également revu dix fois. Comme elle n’allait pas au lycée du quartier, elle était obligée de prendre le bus de ville pour s’y rendre et avait un changement à effectuer au centre-ville. Alors qu’elle se retournait encore sans arriver à fermer l’œil, Célia arracha les draps, excédée, et se leva. Se dirigeant vers la fenêtre, elle en écarta le rideau. À sa grande surprise, il y avait de la lumière dans la maison voisine. Plus exactement dans la pièce qui avait été la chambre de Théo et dont la fenêtre au premier étage faisait face à celle de Célia. Une large pleine lune éclairait la nuit et la jeune fille mit un instant à distinguer l’intérieur de la chambre. Les rideaux n’étant pas tirés, elle put discerner une personne dans la pénombre. Assise de profil, elle avait les jambes tendues et les pieds posés sur le bureau devant elle, maintenant la chaise en un équilibre instable. Elle semblait plongée dans la manipulation d’un objet indéterminé quand son regard se porta soudain sur la fenêtre. Célia lâcha instantanément la tenture et se jeta sur le côté, le cœur battant à tout rompre. Avait-elle été vue, espionnant ses voisins à trois heures du matin ? Si elle croisait cette personne désormais, elle ne saurait plus où se mettre. D’autant plus qu’elle ne savait pas vraiment de quoi elle avait l’air, ni même si c’était un garçon ou une fille. Célia repensa aux vêtements qu’elle avait aperçus dans la penderie trois jours plus tôt. Uniquement des habits masculins. Mais peut-être d’autres affaires étaient-elles arrivées dans les jours suivants sans qu’elle s’en rende compte. Elle avait passé ses derniers jours de vacances à faire du vélo avec Choco, profitant de ces ultimes instants de liberté avant la rentrée. La rentrée justement. Elle aurait lieu dans moins de sept heures et il fallait que Célia essaie de dormir un peu, si elle ne voulait pas avoir l’air d’un zombie demain matin. Elle se leva pour regagner son lit, mais la curiosité la poussa à jeter un dernier coup d’œil vers la fenêtre. Elle écarta délicatement le tissu du rideau, juste assez pour distinguer la maison voisine avant de le laisser retomber aussitôt. Il — car c’était bien un garçon, elle en était sûre maintenant — était penché sur le rebord de sa fenêtre ouverte, le regard fixé sur celle de Célia.   


[1] Fusil d’Assaut de la Manufacture d’Armes de Saint-Etienne, utilisé par les militaires français.
[2] En français : « A armes égales », film de Ridley Scott avec Demi Moore et Viggo Mortensen.
[3] Saga vidéoludique dont les chocobos, des poussins géants, sont des personnages récurrents
[4] Final Fantasy Tactics Advance 2
 
Perrine Rousselot - Tous droits réservés.

jeudi 9 janvier 2014

Retard de publication

Pour des raisons indépendantes de ma volonté, la sortie du premier épisode est reportée à une date ultérieure inconnue. C'est la jungle de l'édition... je vous tiens au courant dès que j'en sais plus !

lundi 16 décembre 2013

Les premières lignes du premier épisode...

Parce que je suis une fille sympa et que surtout, je suis comme vous, je n'en peux plus d'attendre de pouvoir vous livrer enfin ce premier épisode, je vous fais cadeau des premières lignes... Enjoy ! Et dites-moi ce que vous en pensez ? Envie de lire la suite ou pas ?

"La créature ondulait sur le sol de l’autre côté du mur. Célia, les yeux rendus aveugles par un foulard noir, arma son arbalète à poulies au jugé. Elle ne pouvait compter que sur son ouïe et les déplacements d’air auxquels elle était hypersensible pour localiser la bête. Heureusement, le basilic faisait siffler sa langue entre ses dents, trahissant sa position à intervalles réguliers. Célia s’était arrangée pour attirer le monstre dans cette maison abandonnée dont elle avait appris auparavant la configuration par cœur. Elle ne devait pas croiser le regard de la créature sous peine de mort immédiate. Il approchait. Encore quelques centimètres et sa tête apparaîtrait dans l’encadrement de la porte juste en face d’elle. Il s’agissait de ne pas rater son coup. La jeune femme n’aurait pas le droit à une seconde chance. Elle posa un genou au sol et cala son coude sur l’autre pour ne pas trembler. Le carreau serait ainsi juste à hauteur de la tête de la bête. Célia calma sa respiration et ralentit les battements de son cœur. Il y eut un nouveau sifflement. Différent, menaçant. Elle était repérée. La jeune femme appuya sur la détente. Le déclic aigu qui se fit entendre lui arracha un cri de colère. L’arme s’était enrayée. Sans doute avait-elle mal placé le carreau. Elle jeta l’arbalète et délogea le couteau caché dans sa botte. Elle n’eut le temps que de positionner son bras en défense, lorsqu’un soudain déplacement d’air lui indiqua que la bête attaquait. Quand les crocs s’enfoncèrent dans sa chair, elle sut instantanément où planter la lame et n’hésita pas une seconde. L’étreinte mortelle se relâcha et Célia resta un moment immobile, les sens aux aguets avant d’ôter le bandeau. La créature reptilienne gisait au sol, le couteau dans la gorge, si l’on pouvait appeler gorge la partie inférieure de la tête d’un serpent. Sans perdre une seconde de plus, Célia enroula le foulard autour de son bras, s’aidant de ses dents pour serrer ce garrot de fortune. Puis, elle détendit ses jambes et s’assit, dos au mur. Elle se sentait étrangement calme et sereine. Un sentiment de devoir accompli la remplissait. Était-ce ce que ressentaient les soldats en tuant l’ennemi, en sauvant leurs camarades alors même que la situation était désespérée et qu’ils savaient pertinemment qu’ils ne s’en sortiraient pas ? Fermant les yeux, Célia se vit courant sous une pluie de balles, son famas[1] à la main. Elle avait toujours voulu être militaire. Drôle de métier pour une femme, avaient dit ses parents. Mais, elle s’était retrouvée enrôlée dans une autre guerre. Une de celles dont elle n’aurait jamais osé imaginer l’existence, même abreuvée de jeux vidéos et de séries américaines depuis l’enfance comme elle l’était. Elle pensa alors à lui et regretta pour la première fois en quatre ans d’avoir pris la main qu’il lui tendait ce soir-là. Mais elle était jeune. Elle avait soif d’aventure et ce qu’il lui proposait était si extraordinaire. Elle avait accepté sans hésiter. Et pendant ces quatre années, elle avait passé ses nuits à ses côtés. Elle avait appris à l’apprécier, même s’ils se disputaient constamment comme chien et chat. Elle avait, à chaque mission, tenté de lui prouver, comme s’il était un sergent-instructeur, qu’elle n’était pas une faible fille, qu’elle était G.I. Jane[2]. Quelle idiote ! C’était à cause de sa fierté et de sa tête de mule qu’elle était maintenant ici, affalée contre un mur dans une habitation en ruine, attendant la mort, tandis que le poison du basilic s’infiltrait dans ses veines. Il lui avait pourtant interdit de partir seule. Qu’avait-elle voulu prouver ? Qu’elle pouvait se débrouiller sans lui ? Il n’y avait qu’à voir le résultat. L’apaisement avait fait place à la colère. Maintenant, c’était la détresse qui prédominait. Lui seul pouvait lui sauver la vie. À cet instant, elle avait désespérément besoin de lui."



[1] Fusil d’Assaut de la Manufacture d’Armes de Saint-Etienne, utilisé par les militaires français.
[2] En français : « A armes égales », film de Ridley Scott avec Demi Moore et Viggo Mortensen.

samedi 14 décembre 2013

Un peu de patience !

Ad Vitam Aeternam constitue le titre d'une série littéraire qui paraîtra chapitre par chapitre dans un web-magazine. Le texte sera accompagné d'illustrations et... de musique.

Une bande-annonce est à paraître à la fin décembre.

Le premier numéro sortira le 15 janvier 2014.